Le
phénomène perdure depuis des années. En effet, à intervalles réguliers,
des milliers d’individus entassés dans des embarcations de fortune
échouent invariablement sur les côtes libyennes s’ils ne se noient pas
tout simplement quand la pirogue chavire.
On avait fini par être coutumier de ces faits si bien que le sujet était devenu un marronnier pour nous autres, journalistes.
Mais force est de reconnaître que le phénomène prend des proportions
énormes. Jugez-en vous-même : dans la nuit du samedi au dimanche 19
avril, un chalutier qui transportait des migrants a fait naufrage au
large des côtes libyennes ; vingt-huit personnes ont été repêchées, mais
si l’on s’en tient à leurs témoignages, 700 personnes ont dû perdre la
vie dans ce drame.
On croirait que ces contingents de clandestins avaient fait un
regroupement quelque part en vue d’un débarquement en masse en Europe.
Fuyant la misère de chez eux, ces enragés de l’aventure sont stoppés,
s’ils ont la chance de survivre, à la frontière des pays où ils sont
indésirables. L’Eldorado dont ils rêvent tant se transforme en véritable
cauchemar si ce n’est en Enfer.
L’Italie, impuissante face à cette vague d’immigration, a pendant
longtemps appelé les autres Etats de l’Europe à une réponse
communautaire.
En vain. Elle continue malheureusement à se battre seule comme un beau
diable pour contenir ce flux de clandestins qui se massent à ses côtes.
Quand on voit les navires dans lequels nos frères s’embarquent pour
cette aventure, on se dit qu’il faut vraiment être dans le désespoir
total pour oser se lancer dans une telle entreprise à l’issue quasi
fatale. Cette détresse humaine est nourrie par des passeurs qui ont créé
une industrie de la misère autour d’un trafic qu’ils exploitent sans le
moindre scrupule.
Certes, la responsabilité de ces interminables hécatombes est à
rechercher au niveau des pays de départ dont la faillite des politiques
pousse les jeunes à aller voir ailleurs. Mais les familles de ces
migrants « s’en fout la mort » sont, dans une certaine mesure,
comptables de la situation.
Si les candidats à la migration suicidaire ont le courage de se jeter
dans ces eaux tumultueuses, c’est parce que leur sort n’intéresse pas
des dirigeants incapables de trouver des solutions aux questions
d’emploi des jeunes, et ce n’est pas le naufrage d’un migrant qui
viendra troubler leur sommeil.
Mais quand les parents eux-mêmes se saignent littéralement pour envoyer
leurs fils risquer leur vie dans un voyage improbable vers un pays de
cocagne où coulent le lait et le miel, on se demande s’il ne valait pas
mieux chercher à faire son trou sur place.
Quel que soit le pays, avec deux ou trois millions, on peut entreprendre
quelque chose et espérer s’en sortir dignement. On connaît les
avantages qu’une famille peut avoir lorsqu’un de ses membres parvient à
passer de l’autre côté de la Méditerranée.
Mais quand on voit la mer se transformer en cimetière, il y a de quoi
réfléchir avant de se lancer corps et âme dans une telle traversée
périlleuse à la recherche d’un improbable mieux-être.
Adama Ouédraogo Damiss
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